2015/12/09

/// 346. le journal de E. / 2015.12.09 / la lettre -3- ///

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/// Lettre à Lagrande / -3- ///

Dans quelques mois, tu auras le droit de voter…

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III. L’abstention /

Il existe autant de figures d’abstentionnistes que de figures d’électeurs.

Il y a l’électeur militant, l’électeur qui se dit démocrate-responsable, celui à qui il plaît de jouer en allant faire son loto, celui qui pèse son choix, lit les programmes et suit l’actualité politique au quotidien (grâce à TF1 ou Politis, grâce à Valeurs Actuelles ou Alternatives Économiques…), celui qui ne pèse rien et vote pour le candidat qui offre le plus beau sourire ou le plus joli bouc émissaire, celui qui varie d’une élection à l’autre, un coup à gauche (définition attendue !), un coup à droite, un coup à l’extrême-droite, celui qui suit le troupeau, celui qui sait très bien où se trouvent ses intérêts personnels, etc.

Je comprends l’abstentionniste et je partage bien souvent ses réflexions. Par contre, les raisons qu’il met en avant ne se valent pas toutes.

Les abstentionnistes ne votent pas, c’est entendu. Mais ils sont, eux aussi, divers.

On peut échanger et construire avec beaucoup d’entre eux, quand d’autres restent irrémédiablement sourds. Ces derniers accusent l’électeur de porter des œillères (ce qui est parfois-souvent vrai…), ne voyant les leurs.

– Il y a celui qui expose son abstention à l’aide d’arguments politiques solides :
« Les politiques mentent, font des promesses qu’ils ne tiendront pas, sont à la solde du pouvoir capitaliste. Le pouvoir est maudit. Je ne participe pas à cette mascarade. Je ne vote pas. »
Je crains qu’il ne pèse pas lourd dans le camp des abstentionnistes, qu’il soit très minoritaire.

Si je ne partage pas totalement son avis, je le comprends et n’ai pas grand chose à y opposer si ce n’est que, justement, copain, certains partis souhaitent « retirer le pouvoir des mains de celles et ceux qui l’ont confisqué » pour le redonner aux citoyen-ne-s en changeant les règles et le fonctionnement de la démocratie, de l’expression citoyenne : c’est aller vers la 6ème République.

Lui me répond que je fais le jeu des menteurs, que je cautionne la duperie, ainsi de suite. Nous nous retrouvons toutefois autour d’un verre – un communard – , mais aussi dans les luttes sociales… quand nous pouvons nous parler encore (car parfois la discussion peut dégénérer… ce n’est toutefois, tu me connais ma grande, jamais de ma faute). //oui, papa. ça n’est JAMAIS de ta faute… sommes tous d’accord là-dessus… (le boulet…!)//

Tu verras, tu en connaîtras plein, tu en connais déjà. On partage souvent les mêmes valeurs, on a les mêmes adversaires, on poursuit parfois les mêmes objectifs, mais on ne peut pas toujours discuter ou construire… On me l’avait dit, je ne l’ai pas cru. Je l’ai vérifié, depuis.

– Si je me sens proche de ceux-là, j’ai plus de mal avec ceux qui adoptent une posture, qui tiennent à conserver leur pureté, ceux qui éructent avec la foule, ceux qui n’ont finalement pas vraiment d’avis ni de réflexion politique (ce qui les distingue à peine de certains électeurs, oui, je te l’accorde…). //j’ai rien dit, papa…//

Ceux-là ne sont d’ailleurs pas qu’abstentionnistes du vote, ils sont abstentionnistes d’un peu tout : de l’entraide, de la grève, du mouvement social, de la réflexion collective, des associations de parents, et j’en passe.  Jamais contents, mais jamais nulle part.

– D’autres ne savent souvent pas ce qui se trouve dans les programmes. Ils peuvent écrire (preuve qu’ils portent un vif intérêt à la chose) qu’aucun parti ne soutient les mesures écologiques, anti-capitalistes, anti-consuméristes qu’ils attendent et qu’ils aimeraient voir apparaître, par exemple, le revenu de base, le salaire à vie…?

D’abord, je les encourage à porter ces belles idées au lieu d’attendre que ça tombe du ciel, puis je les encourage à mieux lire les programmes. Celui qui participe à l’écriture est un citoyen comme toi et certains partagent tes valeurs ou tes idées. //c’est à moi que tu parles, là, papa…?//

– Enfin, il y a celles et ceux persuadée-e-s que parce que l’abstention est importante, le « personnel politique » va forcément finir par changer les règles afin de la prendre en compte. Pourquoi ? Comment ? Aucune réponse. Ce qui est certain, c’est que celles et ceux qui sont élu-e-s, ne serait-ce que par 0,1%, ont le pouvoir et font les lois. Alors, pourquoi changeraient-ils quoi que ce soit…?

On peut en conclure que s’ils épousent des valeurs communes, les individus sont différents et ne portent pas leurs idées de la même façon, et qu’ils ne peuvent être réduits au groupe auquel ils appartiennent (il est détestable pour un individu qui cherche la liberté et entretient l’esprit critique d’être confondu avec un groupe… c’est la raison pour laquelle il hésite -souvent- à rejoindre le groupe, le mouvement collectif…).  //argument supplémentaire que tu intègres à ton réquisitoire contre les drapeaux, n’est-ce pas…?// Oui, n’est-ce pas.

De la nuance dans les propos et dans la réflexion, cela ne fait de mal à personne et cela permet d’améliorer la bonne entente, voire le construire-ensemble.

[Aparté : « Celui ou celle qui range régulièrement « les autres » dans un même sac et qui refuse qu’on fasse de même avec sa petite personne… il/elle est sur la bonne voie : celle du doute… »] //monsieur joue le zen… ^^… imposteur ! 😉 //

C’est un peu long ? C’est bientôt fini.
Sur ce troisième point de la lettre que je t’adresse, j’ai encore deux choses à dire.

1) Je crois, moi, que l’abstention est un piège.

L’abstentionniste fait inconsciemment ce que l’oligarchie attend de lui : rester à distance, ne se mêler de rien, n’avoir aucun poids (et laisser les oligarques occuper tous les lieux de décision… et subir…).

Il pense qu’il est inutile d’ « avoir un poids », je pense le contraire tout en le respectant.

2) « On ne peut pas vivre « pire » que ce que l’on vit actuellement. »

Je ne suis pas d’accord. En fonction des personnes qui ont le pouvoir (même avec 15% des inscrits…), qui utilisent les deniers publics pour ceci plutôt que pour cela, qui donnent les ordres aux Forces de l’Ordre par exemple, la vie de nos concitoyens (sans parler des étrangers) peut s’en trouver totalement changée.

Je ne fais pas partie des personnes qui pensent que la relative accalmie acquise au cours du temps soit acquise.

« Quelle accalmie ? »

Je pense aux guerres de religion, d’ethnie, à l’esclavage, à la féodalité, la monarchie, aux nombres d’heures travaillées au début du XXème siècle, au travail des enfants. Je ne dis pas que l’accalmie n’est pas un jeu de dupes, que ce n’est pas une façon d’acheter la paix sociale. Je dis que le retour en arrière (Le grand bond en arrière, Serge Halimi) est possible.

3) « Nous sommes esclaves ! » J’entends et mon engagement politique est une forme de lutte contre l’asservissement, mais je ne pense pas noir ou blanc. Tous les asservissements ne se valent pas, même si aucun, pour moi, n’est tolérable. Oui, j’ai lu Tolstoï, La Boétie, mais aussi Gramsci…

J’ai peut-être tort, mais il n’est pas sans conséquence de vivre à côté d’Oradour sur Glane, d’avoir des grands-parents immigrés qui ont dû fuir leur pays à cause la faim ou du fascisme établi ou du fascisme du pays frontalier, d’avoir des ami-e-s juif-ve-s qui ont perdu une partie de leur famille dans les camps, un grand-père qui ne doit sa vie qu’au faux témoignage d’un inconnu dans une préfecture de la France occupée. Ceux qui portent, de l’autre côté de la méditerranée, les valeurs que je partage, tombent sous les balles : Choukri Belaid, Mohamed Brahmi, etc. Les populations n’ont pas besoin d’être engagées politiquement pour vivre l’enfer. Et je m’arrêterai là, c’est à n’en plus finir.

Peu d’abstentionnistes passeront à l’action pour faire face, je le crains.

Les choix politiques de celles et ceux qui sont élu-e-s modèlent la société, et les conséquences en terme de violence, de répression, peuvent être terribles. Je parle de toutes les violences. Pour finir, je dirai que je pense aux femmes, à toi, ma grande.
La violence ne s’arrête pas à nos frontières. Il faut donner de la voix sur tous les terrains où la résistance est possible, où la construction est possible.

Je n’ai pas parlé encore du vote blanc, du « vote utile », de la différence entre le 1er et le 2nd tour. Ce sera pour plus tard…

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— Alors, ça va, toi…?

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Hum Toks & E.5131

/// la lettre -1- / I. Je l’avais dit… ///
/// la lettre -2- / II. Comment vais-je réagir…? ///

La suite : /// la lettre -4- / IV. 2002-2015 ///

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La parole à la « partie adverse » (des potes et/ou lectures enrichissantes) :

Marcher vers l’utopie, c’est avancer les pieds sur terre et la tête dans les étoiles, de Yannis Youlountas /

L’importance de la critique dans le développement du mouvement révolutionnaire /

Masters of Democracy de FredD87 /

Je suis abstentionniste et tu viens m’insulter… /

Je brûle ma carte d’électeur… /

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/// "ça, c'est quand le E. s'amuse... / (tu viens jouer, avec lui...?)" / ©E.5131 ///
/// « ça, c’est quand le E. s’amuse… / (tu viens jouer, avec lui…?) » / ©E.5131 ///